Moi, Banta, j'ai traversé l'Atlantique pour changer ma vie
Récit d'un parcours de résilience
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Propos recueillis par Jean-Samuel Mentor.
À 15 ans, Banta a pris la décision la plus difficile de sa vie : quitter son Mali natal. Un pays qu'il aimait, mais où son avenir semblait incertain. Après six jours d’une traversée périlleuse de l'océan Atlantique, il a posé le pied en Europe, sur un sol qu’il ne connaissait pas. Aujourd’hui, en 2025, ce jeune homme à peine majeur n’oublie pas ce chemin ardu, mais il regarde l’avenir avec des rêves plein les yeux.
“C’est maintenant que je réalise ce que j’ai traversé. Avant, je n’avais pas peur”, confie le jeune homme qui tente de retracer son parcours difficile pour arriver en France. Orphelin de père, Banta Gassama a quitté le Mali seul, à l’adolescence. Sa mère n’a pas essayé de l’en dissuader lorsqu'elle a appris son projet de départ.
"Quand j’ai appelé ma mère pour lui dire que j’allais en Mauritanie, elle a tout de suite compris que j’allais tenter de traverser la mer pour rejoindre l’Europe." Il marque une pause, pesant le poids de ses mots. "Elle a accepté ma décision. Si elle m’avait dit non, j’aurais peut-être abandonné", avance le jeune homme, âgé maintenant de 18 ans.
Un périple semé d’embûches
Le périple de Banta a débuté par un long trajet à travers l'Afrique de l’Ouest, du Sénégal à la Mauritanie. Sur la route, il a découvert une réalité effrayante : de nombreux migrants perdaient la vie avant même d’atteindre les côtes. Mais la peur ne l’a pas freiné.
Arrêté par les forces mauritaniennes en raison de sa situation irrégulière sur le territoire, il a fini par être relâché et a pu poursuivre son chemin. "J’ai plusieurs fois voulu abandonner. Mais lorsque les agents m'ont relâché, je me suis dit que j'avais peut-être une chance", confie Banta. Il a rencontré un jeune Sénégalais qui parlait français, et qui l’a aidé à communiquer tout au long du voyage. “Sur la pirogue, nous étions 15 adolescents", se rappelle-t-il.
Les traversées irrégulières et les incidents se sont multipliés le long des côtes ouest-africaines en 2024. Selon l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM), entre janvier et mars de cette même année, 12 épaves ont été identifiées le long de la route atlantique d’Afrique de l'Ouest, et 119 migrants sont décédés ou ont disparu pendant cette période. Ces naufrages ont eu lieu principalement au large des Canaries, du Maroc, du Cap-Vert et du Sénégal.
La longue traversée
Il existe de nombreux chemins pour rejoindre l’Europe. Certains migrants, en échange d’une somme importante, parviennent à obtenir un visa. Cependant, Banta, issu d’une famille précaire, n’avait pas les moyens de s’en procurer un. Le chemin dangereux et difficile était sa seule issue. Après plusieurs traversées terrestres, il a embarqué dans une pirogue avec environ une centaine de personnes, pour traverser la route ouest-atlantique. Pour Banta, c’était la dernière ligne droite avant d’atteindre l’Europe.
“Les enfants sont embarqués en premier, puis les autres montent. À ce moment, personne ne doit parler. On ne doit rien dire, jusqu'à l'arrivée”, explique-t-il. Les pirogues prennent la mer chargées d’eau et de nourriture à destination des Canaries, la porte d'entrée de l'Europe. Traverser l'océan Atlantique est particulièrement dangereux, avec au moins une semaine de navigation. Banta, lui, a passé six jours en mer. "Quand on est dans cette petite embarcation, tout le monde se met au travail, car il faut continuellement évacuer l’eau qui envahit la pirogue", explique le jeune homme. Selon lui, c’est l’une des principales raisons pour lesquelles ces embarcations peu étanches coulent avant d’atteindre leur destination.
“C’est une traversée douloureuse. À un moment, certains dans la pirogue ont commencé à paniquer. On a vu la mort en face. Ce voyage n’est pas du tout facile… ce n’est pas du tout facile.”
“Je peux rêver maintenant”
Arrivé à Perpignan en février 2022, à la frontière entre l'Espagne et la France, Banta a pu compter sur la générosité d’un inconnu qui lui a offert un billet de bus pour Paris. Mais son arrivée dans la capitale a été un choc. Livré à lui-même, sans repères, il s’est tourné vers la Croix-Rouge.
Logé temporairement, il a rapidement dû quitter le centre et passer deux nuits à dormir dans les rues. “Ils m'ont posé des questions sur la façon dont je suis arrivé en France, et je leur ai expliqué. Je crois qu’ils n’ont pas été convaincus”, affirme-t-il.
Avec d’autres jeunes également logés temporairement par la Croix-Rouge, il a trouvé contact avec l’association La Timmy [Team Mineurs Exilés], spécialisée dans l’accompagnement des mineurs isolés.
Cette association, qui regroupe des familles bénévoles, lui permet de loger de manière alternée chez des familles d'accueil. La Timmy l’a accompagné dans ses démarches administratives, juridiques et médicales, et lui a apporté un soutien matériel et psychologique. Banta a ainsi pu apprendre, au terme de longs efforts, à lire et à écrire le français, une étape essentielle pour son intégration.
Aujourd’hui, il suit une formation en boulangerie et prépare un CAP Pâtisserie et Boulangerie. Passionné par cet art depuis son enfance au Mali, il nourrit un rêve ambitieux pour les années à venir : ouvrir sa propre pâtisserie en France.
Pour lui, c'est bien plus qu'un simple projet professionnel. C'est une manière de s’ancrer dans ce pays qui l’a accueilli, de partager son savoir-faire et d’offrir, à son tour, un peu de douceur à ceux qui croisent son chemin.
Journaliste haïtien, Jean Samuel Mentor travaillait en tant que reporter-rédacteur dans plusieurs médias en ligne et radios. En 2021, il remporte le 2e Prix Jeune Journaliste de l’Organisation Internationale de la Francophonie.
Début 2023, alors qu’il est rédacteur en chef du média Haïti News 2000, il commence une enquête sur les compagnies privées de sécurité et le trafic illégal d’armes en Haïti et reçoit de nombreuses menaces de mort.
Il est forcé de quitter son pays fin 2023 pour rejoindre la France où il obtient la 3e place du prix Bayeux Calvados-Normandie des correspondants de guerre dans la catégorie radio pour son reportage « Haïti : le corps des femmes, terrains de guerre des bandits. »