
Amanullah Qaisari est l'un des présentateurs sportifs les plus renommés d'Afghanistan. Alors que les supporters du PSG jubilent encore de la victoire de leur club en finale de la Ligue des champions, il évoque depuis Paris des moments clés de l'histoire du football afghan, et les leçons qu’ils renferment pour l'avenir de son pays.
Article traduit par Voix en Exil. Lire en anglais:
20 août 2013. L’Afghanistan accueille un événement international de football : un match amical contre le Pakistan. Mais compte tenu des tensions politiques et sociales persistantes entre les deux pays, l’ambiance a tout sauf des airs de cordialité. L’équipe nationale afghane, composée à la fois de joueurs locaux et de membres de la diaspora, se prépare pour cette rencontre très attendue.
Le jour du match arrive. Depuis des semaines, les Afghans trépignent d’impatience. L’excitation est palpable. Quelques-uns, les plus chanceux, ont réussi à décrocher l’un des sept mille précieux billets pour accéder au petit stade de Kaboul.
Ce jour-là, pour une fois, les gros titres ne parlent pas de guerre, de souffrance ou de chagrin. Ce jour-là, les unes célèbrent le sport, la joie, les sourires… et une étonnante sérénité. Le temps semble suspendu. Les gens retiennent leur souffle pour ne pas troubler la magie rare de cette journée.
Un mois s'est écoulé depuis que j'ai quitté Herat pour Kaboul pour rejoindre les équipes de Tolo TV. Tolo, le principal réseau de télévision afghan, jouait un rôle essentiel à cette époque-là dans la mise en lumière du pouvoir fédérateur du sport, grâce à leur couverture et leurs productions d’une grande qualité. La chaîne avait obtenu les droits exclusifs de diffusion pour ce match, et on m'avait confié la responsabilité d'animer les émissions d'avant et d'après-match.
Ce jour-là, je ressens une émotion contradictoire : la joie de vivre un moment de célébration collectif, mêlée à une profonde tristesse face à la rareté de ces instants. Pourtant, je dois me montrer à la hauteur : être le miroir de celles et ceux qui attendent de voir leurs émotions, leurs espoirs et leur fierté reflétés dans ma voix et dans mon regard.
L'Afghanistan gagne le match 3-0. Le public exulte. Avec cette victoire, les footballeurs réveillent un sentiment enfoui de fierté nationale et redonnent force de vie à une société qui n'avait pas connu un tel moment depuis des années. Cette nuit-là, la ville ne ferme pas l’oeil - non pas à cause de la peur ou de l’angoisse, mais emportée par la joie et par l’euphorie.
Peu après, l’équipe nationale s’envole pour le Népal afin de disputer le championnat d’Asie du Sud. L’élan suscité par le match contre le Pakistan est toujours là, et une impression plane que l’Afghanistan est à l’aube de quelque chose de plus grand encore. Cette fois, je voyage avec l’équipe en tant que reporter pour couvrir leurs performances sur le terrain, mais aussi ce qui se joue dans les coulisses. Les matchs sont l'occasion de redécouvrir et de renouer avec notre identité blessée. Notre rêve prend forme – pour les joueurs comme pour leurs supporters.
Pour moi, ce rêve va au-delà du sport. Le football devient une raison puissante et saine de s'unir. De devenir une seule nation, une seule voix.
Le 11 septembre 2013, l'Afghanistan bat l'Inde et devient champion d'Asie du Sud pour la première fois de son histoire. Quelle date le destin a choisi pour ce triomphe! Douze ans jour pour jour après l'effondrement des tours du World Trade Center, évènement qui a bouleversé le destin de mon pays, l'Afghanistan soulève le trophée d'un tournoi international.
Avec du recul, je pense qu’avec une meilleure gouvernance et une vision plus ambitieuse, le sport aurait pu faire partie de la solution pour surmonter nos défis. Hélas, les dirigeants de l'époque n'ont pas su exploiter efficacement ce formidable outil de cohésion.
Jusqu’en août 2021, j’ai continué à commenter les matchs de l’équipe nationale, à animer des talk-shows sportifs et à couvrir de grands événements comme les tournois de MMA ou la Premier League afghane. En 2016 et 2018, j’ai eu l’honneur d’être désigné meilleur présentateur et commentateur sportif d’Afghanistan par la Fédération nationale des journalistes sportifs. Lors de tous mes voyages avec l’équipe, j’ai vu mes compatriotes, au-delà des divergences d’opinions ou de modes de vie, se rallier passionnément derrière leur sélection. Partout où nous allions, des foules immenses les accueillaient avec ferveur. Qu’est-ce qui, sinon le sport, a su nous unir avec autant de force ? Rien, à mes yeux, n’a jamais eu un pouvoir comparable.

Aujourd’hui encore, ce titre de champions d’Asie du Sud, tout comme les médailles olympiques de taekwondo remportées par Rohullah Nikpai en 2008 et 2012, restent gravés dans nos mémoires comme des jours de joie rares. Aujourd’hui encore, nous ressentons cette même fierté intense devant la médaille de bronze de Zakia Khudadadi en para-taekwondo, ou lorsque les joueurs de cricket afghans brille sur la scène mondiale.
Tout au long de mes années dans les médias, j’ai tenté d’être un homme du peuple, d’être une voix pour lui. Le sport a toujours été un refuge pour moi, surtout dans les jours les plus sombres, notamment après mon exil, quand tout me semblait figé.

Un pays qui perd l’espoir perd sa volonté de vivre. Le sport nous a redonné cet espoir. Et c’est encore grâce à lui que l’on continue à croire en l’avenir, à travers ces filles et ces garçons, ces femmes et ces hommes éparpillés aux quatre coins du monde dont le cœur bat toujours pour l’Afghanistan.
Aujourd’hui, en tant que membre d’une génération qui a vécu et raconté cette épopée sportive, je crois que la génération suivante – qu’elle vive en exil ou au pays – peut garder cette flamme vivante. L’histoire continuera d’être transmise tant que nous, les conteurs, aurons encore une voix.
Amanullah Qaisari est l'un des présentateurs sportifs les plus connus d'Afghanistan. Il a travaillé pendant près de dix ans pour la société de médias Moby Group, où il a produit, animé et commenté des compétitions et des programmes sportifs.
En 2016 et 2018, il a été nommé meilleur présentateur sportif et commentateur de football par la Fédération nationale des journalistes sportifs. Après la chute de Kaboul en août 2021, il quitte l'Afghanistan pour la France avec le soutien de Reporters sans frontières (RSF) et du ministère des Affaires étrangères.
S’appuyant sur son importante communauté sur les réseaux sociaux, il travaille actuellement à la création d'une plateforme fiable et digne de confiance axée sur le sport, et plus particulièrement sur le sport féminin en Afghanistan.